Chapitre VI

« Ah ! La merluche, la merluche
On y danserait bien le jour,
On y danserait bien la nuit
Ah ! La merluche, la merluche ! »











VI

Voilà, je viens d’acheter mon ticket de bus, au guichet prévu à cet effet. En marchant un peu, j’ai trouvé une gare routière, et je me suis rendu compte que j’étais approximativement à quatre kilomètres de chez moi, alors malgré mon audace, j’ai préféré dépenser l’équivalent d’une boisson gazeuse américaine de 33cl plutôt que de me fatiguer d’avantage.
Je dois prendre la ligne six, dite la ligne des singes hurlants. Selon la légende urbaine, un autocar de cette ligne aurait été pris piraté par une bande de singes hurleurs au dix-huitièmesiècle. Ceux-ci, après de longues négociations, auraient libéré les otages contre un vitrail dédicacé par le pape Innocent XIII(1) . Mais ceci n’est qu’une légende.
Voici le bus qui arrive, à toute vitesse, si je ne m’abuse, il va environ à 128km/h, ce qui en pleine ville est assez dangereux. Heureusement, le conducteur arrive à piler juste devant l’arrêt évitant de justesse une vieille dame, qu’on aurait envie d’appeler mamie. Malheureusement pour cette gentille madame, son petit chien si gentiment appelé Choupette pendant quatre ans n’aura pas survécu au choc du phare droit du véhicule contre sa petite tête rabougrie. Ce sont les aléas de la vie grommelle alors le chauffeur tandis que la vieille dame s’évanouit. Pendant ce temps, je monte dans le bus et composte mon ticket, car je suis un citoyen modèle.
Alors assis confortablement je tente de me rappeler en détail de mon entrevue avec ce vagabond étrange rencontré au hasard de mon détour…

Alors que je me m’étais décidé à lui répondre, il se mit à crier, comme si une colonie de fourmis (rouges ou noires, peut importe) lui dévorait les orteils. Tout d’abord, il m’insulta, mais vu l’accoutrement piteux de l’individu, son odeur alcoolisée et sa démarche imprécise, je ne prenais pas ces mots douteux sérieusement, car dans le fond, il y avait peu de chance pour que je sois, comme il le disait, une vieille poutre.
Il se calma tant bien que mal. En réalité, il frôla un infarctus, ce qui le contraint à modérer sa colère. Il reprit alors son souffle, et me regarda, d’une façon que je n’avais pu observer chez un être humain auparavant. Un mélange de colère, de soumission, de dégoût et de folie. Même si je craignais un peu une réaction brutale de sa part, je ne me sentais pas mal à l’aise. Il ouvrit la bouche, et comme le voulait la logique oedipienne qui planait dans cette rue depuis plusieurs minutes, il me parla.

« Ca fait un mois que je t’attends gamin, t’aurais pu te grouiller un peu ! C’est que je ne suis plus tout jeune moi, je n’ai pas la vie devant moi »

Il est vrai que son physique ingrat laissait deviner un âge pour le moins quintuple du mien. Mais ça ne voulait pas pour autant dire que j’avais la vie devant moi. En effet, toute sorte de désagrément pourrait m’arriver dans les vingt quatre heures qui allaient suivre nôtre discussion. Je pourrai très bien me faire renverser par un convoi de porc en destination de la Suède, ou encore recevoir un colis piégé en provenance du proviseur du collège, peut-être même que ma mère me préparait à l’instant où je me trouvais avec cet énergumène un potage à base de radis, de clous rouillés et des restes de paskha(2) de la veille, ce qui me rendrait malade à me défenestrer. Dans le pire des cas, un moucheron à peine ailé pourrait, en me rencontrant, prendre peur et changer sa trajectoire initiale. Très bien me direz vous, je ne m’étoufferai pas avec ce minuscule insecte. Mais il n’irait alors plus rendre une coquette visite à la vache du père Albert. Celle-ci, étant assez histrionique, prendrait tout de suite ce malheureux contretemps comme un affront personnel. Le pauvre fermier, n’étant pas au courant de cette affaire, ne changerait pas ses habitudes et irait comme d’accoutumée « traire sa grosse » comme il le dit lui-même. La vache, dans une rage non contenue n’aurait alors aucun mal à projeter dans les airs le seau prévu à recevoir le jus de pis bovin grâce à un mouvement brusque de sa patte arrière gauche. Le récipient de métal qui se serait alors élevé d’une hauteur approximant les douze mètres, retomberais en pleine rue, faisant un boucan d’enfer et réveillant ainsi le nouveau né nommé Vratislas qui dormait jusqu’alors sans rêve. Les pleurs prématurés du nourrisson n’auraient pas d’importance pour sa nourrice alors occupée à couper les tulipes malodorantes dans le jardin de la voisine, partie rencontrer celui qui serait son amant dans quelques heures. Mais revenons à ce seau, qui malgré le soleil de décembre, dévalerait la rue pentue, jusqu’à ce qu’un obstacle ne vienne l’arrêter. Or, l’obstacle ne surviendrait que lorsque le seau aurait pris une vitesse effroyable, si incroyable que même le quarterback d’Indianapolis n’aurait pu l’arrêter. Comme nous le savons tous, ce seau finirait sa course infernale dans la tête de cette pauvre Choupette, décidément, ce n’est pas son jour.

« Mais monsieur, je ne vous connais pas ! Comment pouvais-je savoir que vous m’attendiez ? Et pourquoi m’attendiez vous, au fait ? »

Il me raconta donc sa triste histoire. Né d’une mère analphabète, élevé selon la tradition néo-zélandaise, victime d’un accident d’attrape-nigaud(3) qui lui valut deux ans d’hôpital psychiatrique. A sa sortie, il fut sélectionné à un jeu télévisé et ce fut le début de la descente aux enfers. Durant son voyage au Luxembourg qu’il avait brillamment gagné lors de ce jeu de connaissances(4) , il rencontra l’homme de sa vie. Ils vécurent ensemble une idylle digne des plus beaux romans Arlequins, mais ce qui n’aurait jamais du arriver arriva tout de même... Son prince charmant lui avoua son hétérosexualité, et depuis ce temps, il n’avait réussi à retoucher intentionnellement à une perruche, même empaillée.

Je regarde par la fenêtre, le bus roule déjà depuis une bonne demi-heure. J’ai l’impression que le chauffeur, étrange sosie de Chuck Berry, ne connaît pas vraiment l’itinéraire, et qu’il fait moult détours inutiles. Après tout, ce n’est pas mon problème, j’ai un ticket spermine ce qui me permet de voyager du matin au soir, sans avoir à me soucier des sautes d’humeur de monsieur le conducteur.
Je regarde par la fenêtre, donc. Les fenêtres de bus, de trains, de tramways, de tous les transports en communs quand on y pense sont plus qu’intéressantes. Tout d’abord, pour leur vue imprenable. Quand on colle son front sur la fenêtre, trois plans s’offrent à nous.
Tout d’abord, l’extérieur, ce monde coupé de nous mais que nous pouvons tout de même observer grâce à la magie de la transparence. D’ailleurs, la transparence des vitres est assez relative. Remarquez que dans les films, quand quelqu’un regarde par la fenêtre, elle est toujours parfaitement transparente, à croire que chaque vitre possède un vitrier. Ca ne se passe pas comme ça dans la vraie vie, les vitres sont sales, et ne laissent parfois à peine passer la lumière du jour. Heureusement, il fait nuit.
Comme un autofocus, mon œil s’habitue alors à une autre possibilité d’observation: la vitre en elle-même. Sa double épaisseur s’il en est (en l’occurrence, il en est) et son degré de propreté ou de saleté(5) nous offrent un spectacle si inintéressant qu’il en devient amusant de s’y attarder. Alors je m’y perds. Dans la vitre. Ou dans mes pensées. A vrai dire, il s’agit dans cette situation presque de la même chose.
Pendant que je fais travailler la germigouane qui se trouve entre mes deux oreilles, ma tête s’éloigne presque malgré moi de l’objet de mes pensées. Et j’ai maintenant droit à la dernière possibilité de contemplation, qui n’est autre que moi-même. Mon reflet pour être plus exact. Mon visage. Allongé, assez carré, imberbe. Il me regarde, dans les yeux. Des yeux bleus, entr’ouverts, car je suis fatigué et la lumière artificielle des luminaires m’éblouissent.

J’ai parlé avec lui plus d’une heure, de la crise économique au Gabon, des peintres Surréalistes, de la tour de Pise, du Mont Saint-Michel, de ma mère, de sa mère, d’Eric Clapton... Il était beaucoup plus cultivé que moi, et je pense que j’ai plus appris que lui durant cette conversation. Et alors que nous parlions tranquillement de la fonte de la banquise et de ses conséquences sur les fourrures en sconse, il me saisit l’avant-bras et m’y enfonça une aiguille rouillée. Ah, le malotru ! C’est que ça fait mal non d’un porc à lunettes ! Alors, blême, il me regarde, et se met à trembler… et éclate en sanglot.

« C’est toi, tu est le Ménon ! J’attendais ta venue depuis quelques décennies, quand Dieu m’a dit que je te trouverai !
- Mais enfin vous êtes complètement dingue ! Déjà vous m’avez fait très mal avec votre vieille aiguille pourrie, et après qu’est ce qui vous fait dire que je suis le Ménon, que s’est-il passé de spécial ?
- Après t’avoir transpercé de cette aiguille divine, tu aurais du te métamorphosé en un immonde tas de truites, mais tu es resté tel quel, tu es donc le Ménon. »

Intrigant… Pour en avoir le cœur net, je saisis l’aiguille, et le pique à mon tour à l’avant bras. Un énorme tas de poissons pas frais apparaît instantanément. Incroyable ! Et quelle erreur de ma part, lui seul aurait pu me dire ce que cela signifiait. Bon, il ne me reste plus qu’une chose à faire, retourner chez moi, après tout, je n’ai pas que ça à penser en ce moment, j’ai déjà d’autres préoccupations plus importantes.



(1) Innocent XIII fut le 242e pape de 1721 à 1724, dont le vrai nom était Michel Angelo dei Conti.
(2) Le paskha est un gâteau traditionnel russe de Pâques, nécessitant des ingrédients simples tels que du fromage blanc (très sec), des jaunes d’œufs, du beurre, de la crème fraîche, du sucre et des fruits confits.
(3) L’attrape-nigaud est un véhicule motorisé à trois roues pouvant atteindre 70km/h, très en vogue au milieu du 20e siècle
(4) Il avait su répondre à quatorze questions successives concernant les poulpes, un record qui n’a pas encore été égalé depuis.
(5) Le verre est-il à moitié plein ou à moitié vide ? Et vice-versa.

petite précision juste pour faire chier: si un pape a écu de 1721 à 1724 il a vécu au dix-huitième siècles. Il ne peut donc pas signer un vitrail au dix-septième siècles. J'espere que c'est une erreur malencontreuse et non un nouveau principe tabaprécisme. Le tabaprécisme est avant tout une science. Bon je retourne lire le chapitre.

J'adore le coup de l'aiguille. Ca sent l'intrigue tbp et j'aime.
Par contre le début je trouve ça pas terrible. Je me suis ennuyé jusqu'au moment où il rencontre le clochard. Je sais pas pourquoi ms bon j'ai accroché qu'à partir de ce moment là. Mais tu te rattrapes super bien. Là ca me fait penser au début des aventures de star wars ou du seigneur des anneaux (le jeune homme frele promis à un splendide voyage initiatique) ou zadig tiens de voltaire, mais au niveau local et à notre époque. Et comme je sais que ca n'a rien à voir et que ca n'aura rien à voir, ca me fait jubiler encore plus.
Un jour je relirai tt d'une traite et te ferai part de mes sensations à chaud.

PS: c "boucan d'enfer". Les autres petits égarement sont pardonnables.

le fils imberbe,j'admire!

Alors pour le 17e/18e sciecle, oui c'est une erreur, j'ai du mal me relire.

Pour le "boucan d'enfer", je ne comprends pas la remarque... j'ai fait une faute?

Le fils imberbe... il n'a que 14 ans le pauvre!

bouquant m'a perturbé car il m'a fait penser à carole bouquet. C boucan comme dirait renaud.
Je sais qu'il a 14ans et est dc imberbe. C pour ça que j'admire encore plus.

J'ai trouvé le "boucan d'enfer", merci

j'ai oublié: j'aime bien les notes. J'en resortirai en soirée. Si tu veux moi j'ai: vu sa taille et donc ramener à son échelle le spermatozoide parcourt 42km pour arriver à l'ovule. c toujours bon à recaser aussi.

Oui, mais fais gaffe, y'a des notes que j'ai inventé moi même... style l'attrape nigaud!

celle là je l'ai sentie ms jmen fous je la resortirai qd meme (genre "on l'a appelé ainsi car il n'y avait que 3 roues au lieu de 4 et seuls des nigauds ne s'en apercevaient"). Et tu verras ta remarque se propagera et deviendra réelle. Tout ce qui est précis est réputé réel (classique de barthes). L'important n'est pas la vérité ms ce que les gens pensent etre comme étant la vérité (je sais pas c de qui ms ya surement qqun qui a du le dire avt moi).
Par contre moi c vrai le coup des 42 km. Au passage la vitesse d'un spermatozoide est de 45km/h. Autant aller jusqu'au fond des choses.

J'essayerai de le ressortir aussi! 42 km... un marathon, pas mal quand meme!

c vrai un marathon... pauvre gars. Je suis contre cette exploitation assassine d'etres si faibles, qui me suit!?

Moi je te suis! Manifestons! Rendons libres ces pauvres spermatozoides, qui n'ont rien demandé apres tout

A Kind Of Tibaw a écrit:

Moi je te suis! Manifestons! Rendons libres ces pauvres spermatozoides, qui n'ont rien demandé apres tout

Oui! Masturbez vous!

Tu crois que je t'ai attendu mon grand!

Ah vous êtes trop drôles !
J'en peux plus !

Est ce valable pour les filles? Perso je pense que oui!

De quoi qui est valable pour les filles ? La masturbation ?
Bien sûr que oui.

All right!