V
ELLE est assise sur son lit. ELLE écoute de la musique, ELLE a un casque sur les oreilles, pour ne pas déranger sa mère, qui est souffrante. C’est tout de même une fille très gentille, car il est courant que le bien être des autres passe avant le sien. M ais n’espère-t-ELLE pas en être récompensée un jour ?
ELLE doute de la vie, de l’amour, de la passion. ELLE n’a jamais été amoureuse jusque maintenant. Il y a deux ans, ELLE a cru qu’elle l’était, mais il s’agissait d’une bronchite. ELLE a envie de téléphoner à sa meilleure amie pour lui dire que sa vie est en train de changer, qu’ELLE le sent, et qu’ELLE ne peut pas l’expliquer, que c’est à l’intérieur et ça ne sort que par onomatopées. Seulement cette meilleure amie est partie faire un stage de flamenco. Ce stage s’effectuant à plus de 200km de sa demeure, les parents de l’adolescente avaient décidé de l’envoyer vivre là bas, prendre le train tous les jours aurait sûrement été une perte de temps et d’argent considérable. ELLE n’a pas beaucoup de monde à qui parler quand sa meilleure amie n’est pas là. Même son ours en peluche préféré a fugué la semaine dernière, laissant une lettre sur le bureau :
«Chère TOI,
Cela fait maintenant treize ans que tu me possèdes. Au début de notre relation, TU t’occupais de moi, tous les jours, je dormais dans tes petits bras dépourvus de fourrure. Nous étions heureux. Et au fil des ans, TU m’as délaissé, TU nous as délaissés, mes doux compagnons et moi même.
Alors, c’est par cette lettre informelle que je te fais mes adieux, car TU ne me reverras jamais, je pars à l’aventure, je trouverai mieux que TOI, je trouverai quelqu’un qui m’appréciera à ma juste valeur, et pas seulement quand il ira mal »
Cette lettre l’avait blessée au plus profond de son âme, mais après tout, ELLE l’avait cherché, un ours en peluche, ça s’entretient.
Son cœur bat fort. Dans sa tête, mille et une merveilles mais aussi mille et une tristesses. ELLE voit des papillons multicolores envahir le triste plafond blanc de sa chambre de petite fille. ELLE s’imagine couchée, au beau milieu d’un champ, en été, ELLE sent presque l’odeur du blé fraîchement coupé. ELLE arrive à s’imaginer, roulant dans ce foin, couleur d’or, qui se glisse parfois dans ses cheveux décoiffés, ELLE rit aux éclats ! Sa mère ne lui en voudra pas d’arriver un peu en retard pour le repas du soir, il n’est pas tard, et ELLE est encore jeune, autant qu’ELLE en profite.
Mais les papillons commencent à s’en aller. Un par un, ELLE les voit déserter ce lieu de rêve. ELLE se demande pourquoi tout ne peut pas rester figé à un moment précis de la vie. Mais peut être serait il lassant de toujours vivre ce moment de bonheur. ELLE rougit, comme prise en faute. Pourtant ELLE n’a rien à se reprocher, rien de plus que d’habitude. Peut être est-ce à cause de ce garçon qui marche dans les allées du parc, une petite veste de velours sur les épaules et qui vient de recevoir une feuille morte sur le nez. Ce garçon, ELLE a l’impression de le connaître, de pouvoir le rencontrer rien qu’en fermant les yeux. Mais il s’éloigne, et il ne s’est pas retourné pour la regarder. Peut être n’est-il pas fait pour ELLE.
ELLE n’aime pas le froid, ni la neige, ni les jours qui raccourcissent, ni les écharpes, ni les bonnets, bref, ELLE n’aime pas l’hiver. ELLE pense que l’hiver c’est inutile, que pendant trois mois, tout sera gris. Une larme coule le long de sa joue, rose et bien odorante. Les papillons sont partis, ne laissant derrière eux qu’un vide irremplaçable, ce vide, ELLE l’a dans son cœur, dans sa tête, dans son corps, il lui manque quelque chose, mais ELLE ne sait pas encore quoi, ou plutôt ELLE ne veut pas le savoir.
Alors, comme personne ne peut l’écouter, ELLE écrit à son confident, son journal intime. Depuis le jour de ses douze ans, ELLE a écrit dans ce classeur tous les jours. Parfois, ce n’est pas intéressant, mais le journal, il ne s’en rend pas compte, et pour être franc, il n’a pas vraiment son mot à dire. De sa plus belle écriture, ELLE raconte sa vie, en pensant qu’un jour, un cinéaste nonchalant en fera un film à succès. Ce recueil résume les neuf cent soixante sept derniers jours de sa vie. On peut y trouver des poèmes, des dessins, des mèches de cheveux coupées à ses camarades de classe, des échantillons gratuits de shampoings, la date de sa première épilation, et bientôt, on y verra certainement un prénom entouré d’un cœur, transpercé d’une flèche, comme c’est romantique. Pourquoi n’a-t-elle jamais été amoureuse ? Toutes ses copines l’ont été. L’une d’elles a même été jusqu’à demander en mariage leur professeur de Mathématiques, ELLE était vraiment en retard pour son age. Les professeurs ne l’intéressaient pas. Au lieu de cela, ELLE pensait à un gamin, certainement plus jeune qu’ELLE. La honte auraient dit les copines. Mais dès qu’il arrivait dans ses pensées, les copines disparaissaient, et il n’y avait plus que lui. Lui sur un cheval blanc, lui bravant dragons et autres créatures démoniaques pour la rejoindre, lui l’embrassant en haut d’un donjon, lui et personne d’autre, lui et c’est tout.